Coup double

Publié le par Antoine Chainas

Le neuf octobre, dans les sous-sols de la maison Gallimard, chez les olibrius de la Série Noire, on sable le champagne, on se gave de chips et on finit la soirée en invitant quelques jolies jeunes filles avant de finir vautré sur la moquette, en coma dépassé, un chapeau multicolore sur la caboche et un sans-gêne au coin du bec. Pourquoi ? Eh bien parce que c'est le jour de la parution simultanée de deux ouvrages radicalement opposés mais chacun indispensable dans son genre.

Ken Bruen : l'humanité blessée

Le voilà, il arrive ; c'est le nouveau Ken Bruen. Je vous avais déjà résumé l'histoire ici, donc je ne vais pas me répéter. Sachez seulement que dans cette aventure, Jack Taylor, notre ex de la gardapréféré, va devoir faire face au mal qui découle du mal. Un prêtre pédophile est assassiné. L'enquête s'oriente, naturellement, vers ses anciennes victimes. L'occasion, pour Ken Bruen, de brosser une galerie de portraits poignants sans jamais verser dans le pathos. Des êtres broyés, qui ne se cherchent aucune excuse et questionnent, par là-même, l'éthique (éthylique ?)  de ce bon vieux Jack, tout juste sorti de son enfer personnel : un asile de fou où il a séjourné à la suite de la mort accidentelle d'une petite fille dont il avait la garde. La psychologie du détective se nuance : il se fait plus sensible, moins brutal sans doute. Il vieillit, comme nous tous, mais la désillusion, le désespoir sont toujours là.  Au fil de son enquête, et ce n'est, à mon sens, pas le moindre des intérêts du récit, Jack va croiser une foule de personnages : clodos, anciens amis à la dérive, prêtes défroqués, femmes vengeresses... L'empathie se fait plus prégnante. Jack est un grand sensible, ça, on le savait, mais ici, on monte d'un cran. Jack regarde (et nous avec), ceux qui l'approchent et ceux qu'il approche, avec une lame plantée dans le coeur. Pour eux, pour nous. Elle fait mal. Et la douleur nous dit que les bourreaux sont parfois, souvent, aussi des victimes. Une (en)quête au bord du gouffre, où la souffrance est assumée et où le salut n'existe pas. Malheur à ceux qui, comme Jack l'espace de quelques jours et d'une rencontre, y croient malgré eux. Voilà, c'est du Ken Bruen. Un écrivain vraiment attachant, qui construit, de livre en livre, une oeuvre ultranoire qui ne peut s'empêcher d'évoquer, voire d'invoquer la lumière.
A lire absolument.

Tiens ta langue, chienne

Le deuxième ouvrage publié est, comme je l'ai dit, radicalement différent, tant par la forme que par le fond. Il est signé Hervé Prudon (Tarzan malade, Nadine Mouque...), un grand styliste et un écrivain qui aime par dessus tout (se) jouer de la langue. D'ailleurs, ça s'appelle La Langue Chienneet autant dire qu'elle n'est pas dans la poche de Prudon. Elle serait plutôt sur les pages d'un livre éruptif, magnifique... et totalement gratuit (au sens figuré : n'essayez pas de sortir de la librairie sans payer l'ouvrage en disant que c'est moi qui vous ai refilé le tuyau, je décline toute responsabilité !). L'histoire est inracontable, donc je ne vais pas m'embêter. Disons que sur 345 pages, c'est un festival d'inventions langagières, de mots détournés, retournés, suicidés, un tourbillon d'allitérations et d'associations d'idées qui vous emmènera loin, très loin en terre étrangère. Ca siffle, ça gicle, ça part dans tous les sens et d'aucun diront à contresens de la littérature noire classique.
Un O.L.N.I. qui lèche là où ça fait du bien.
Un pur plaisir d'onaniste.
Personne derrière, personne devant.
Rien que vous face au déluge. A la mémoire, aux fantasmes. Au rêve. Slurp.

Publié dans polar

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