Vidéo gags et burritos

Publié le par Antoine Chainas

couv_king_county.jpgImaginez le marin de Londres Express qui, saisi d'un étrange accès de mélancolie, déciderait de changer de profession pour devenir flic dans un bled pourri de l'Amérique profonde et se mettrait à causer en vers libres. Ou bien imaginez ce bon vieux Lou, du Démon dans ma peau (Thompson), en moins séduisant, moins vénal, mais tout aussi dangereux. Ou songez encore à Buck, dans le roman de Peter Duncan, qui aurait laissé tomber la bible et l'humour pour ne garder que la sournoiserie. Oui, imaginez ça deux secondes et vous aurez une vague idée de ce que peut donner King County Sheriff, de Mitch Cullin, publié en France aux éditions Inculte dont il convient de saluer la sage initiative.

Le monologue, réduit cette fois-ci à cent trente pages ultra percutantes, oscille entre pesanteur fruste et aspiration viscérale à la légèreté, entre instinct primaire et tendresse désespérée. Il ressemble à quelque chose de ce genre :

 

 

 

"Suzy le setter irlandais m'a dit

Des Mexicains

près de la cour hier soir.

On est les prochains

[...]

Et c'est comme ça

que c'est rentré dans mon crâne.

Pour chaque chien mort,

un Mexicain mourra"

 

Au fil des seize chapitres, A.C. Branches, shérif des États-Unis de King County, Texas, sera tour à tour Enfant-Canin, homme-cerf-volant, Justicier ou fantôme, tout en demeurant implacablement le même : vieille baderne bouffie de haine, dévorée, sans honte ni regret, par une violence justifiable.

"M'man disait

les gens c'est du grand n'importe quoi

Et, la puanteur du purin,

la crasse des corps pesants

coulissant les uns contre les autres

derrière les portes closes

sont tout ce qu'il y a à prendre

de cette race humaine"

Mitch Cullin, surtout connu pour avoir été adapté par Terry Gilliam (Tideland), a déjà fait des étincelles outre-atlantique, avec UnderSurface, une sorte d'anti thriller homo introspectif très perturbant et Whompyjawed, son premier roman - le parcours initiatique et existentiel d'un jeune footballeur américain (dans lequel apparaissait déjà le shérif Branches). Et toujours, chez Cullin, cette puissance incantatoire du verbe, ce pouvoir de la scansion en qui il faut foi garder.

Dans King County Sheriff, ils constituent le vecteur optimal des échappées oniriques au coeur de la fange, nichées dans les recoins les plus noirs de la filiation, et serviront les aspirations à l'élévation du représentant des forces de l'ordre... Aspirations bien entendu à jamais contrariées, puisque le héros, lorsqu'il n'est pas occupé à manger des burritos devant Vidéo gags ou à faire l'amour à sa femme, lorsqu'il arrête de tuer des Mexicains ou de défoncer des pédés, fait définitivement partie des oubliés de Dieu.

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