Goncourt 2010 : un mort

Publié le par Antoine Chainas

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Ils crient, ils te bousculent. Ils font leur métier. Les bouches, qui scandent ton nom, ont les mêmes relents méphitiques qu'hier. Les dents, les langues, la salive qui les lubrifie, ne sont là que pour orner le trou, sac à foutre, puits insondable au milieu de leur figure. Demain, ils t'auront oublié.

Est-ce cela, la collision du mouvement historique et de la trajectoire artistique ? Cinquante ans pour en arriver à cet atavisme convergent, et l'anomalie commerciale se résume à un non aboutissement, une péripétie. La littérature, réduite par les tourments de l'image à l'anecdote, devient non pas une caricature, mais la représentation d'une caricature. Cependant, tu es quelqu'un de poli, tu fais comme si la mise en scène était convaincante, tu les imites, conscient pourtant, des tréfonds de la matière grise domptée par les benzos, du pavlovisme rentable - qui ne mérite même pas l'appellation d'abjection - incarné par le consensus. Il y a mille et une manière d'éprouver du dégoût, de tuer la nausée.

Et il n'est guère surprenant, au demeurant, que ce soit ton livre le plus calme, le plus raisonnable qui soit couronné, le temps de quelques heures, par le plus prestigieux des prix. Faisais-tu référence à cette évidence si consternante, si mortifère, lorsque tu parlais de mouvement historique et de hasard ? Sans doute n'éprouves-tu qu'un mépris froid pour eux. Tu n'es pas responsable de leur médiocrité, néanmoins ils ont fait de toi leur emblème d'un jour. Tu ne leur en veux même pas. Ils t'ont souillé, comme ils souillent tout ce qu'ils touchent, chaque chose dont ils évoquent le nom, ton nom, et tu as souri. Tu ne leur en demandais pas tant : il y avait longtemps que tu avais compris qu'aucune promesse ne serait tenue, exceptées celles qui ne leur coûtent rien. Ne pâlit pas. Respire. Ta poitrine qui se lève, ton sang qui circule, ton souffle, la sueur sous tes bras, à l'entrejambe, sont les seules preuves, à présent, qu'ils n'ont pas tout profané, qu'il subsiste encore en toi des domaines inexplorés. Tout ceci ressemble bien, sinon à ta disparition programmée, du moins à la mort d'une idole. La bonde de ce fameux mouvement historique, sans doute...

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