On rapatrie

Publié le par Antoine Chainas

Ben voilà. Après trois ans de longs et boyaux services, Chroniques Marignac, le blog de l'ami Thierry du même nom, écrivain incendiaire et traducteur furieux, ferme ses portes. Basta ! Tirez le rideau et les rombières qui vont avec ! Caltez !

A titre personnel, je garde l'image d'une chouette expérience. Je passais chez lui régulièrement et c'était un endroit vraiment à part où il était loisible de savourer de l'inédit dans tous les sens du terme. Et puis une vraie générosité avec ça ; du rêche, de l'entier, certifié incassable.

Au cours de ces trois années, il a sans doute su adopter la meilleure attitude : utiliser le média pour fourbir certaines armes (ses trados de poèmes, superbes et si rares dans le paysage), tout en faisant plaisir au lecteur. C'est dans ce contexte-là qu'il faisait parfois appel à quelques âmes égarées histoire d'égayer l'atmosphère. J'ai ainsi eu le plaisir de participer, le temps d'un texte circon-calitaliste, à l'ambiance surchauffée céans. Ce texte, je le rapatrie donc aujourd'hui avec l'autorisation du taulier. Ça s'appelait Variable d'ajustement et les plus perspicaces d'entre vous constateront qu'il s'agit d'un prototype rugueux de l'incipit d'Une histoire radioactive. Pour cela et bien d'autres choses, que Marignac en soit remercié.

 

VARIABLE D'AJUSTEMENT

005-360x450.jpgLes gogues étaient propres. T'aurais pu te goinfrer un sushi par terre.
Maxime, DRH de Consortium inc. se tenait devant l'urinoir, les jambes légèrement fléchies, l'outil en main.
Au moment où l'autre fit irruption, Max le zieuta par l'intermédiaire de l'immense miroir mural qui s'arrêtait, comme de juste, au niveau de la ceinture.
Un DRH aussi, Bimotel Corporate, ou Agenciel et Associés, un truc comme ça. Optimisation des coûts oblige, ils étaient tellement, dans cette saloperie d'immeuble, qu'il était parfois difficile de s'y retrouver.
- Ca va ? s'enquit Max d'un ton neutre.
- Ouais, mon pote, impec, répondit l'autre, tout fringuant en ouvrant sa braguette. Putain, je te raconte pas la valdingue. J'ai explosé tous les objectifs.
- Vrai ?
- Ouais. La crise, mec, la crise. J'ai jamais rien vu de plus beau. 70 000 suppressions annoncées dans la journée. Je te jure, c'est dément. En plus, l'état nous refile un max de blé. Il paraît qu'on est dans un secteur-clef.
Il partit d'un grand rire qui fit osciller le jet vers ses pompes à 4000 points sans toutefois marquer la cible.
- On est blindé, cette année, continua le type. Avec la crise, on a même plus besoin d'excuse. Avant, c'était le bordel : on était obligé de passer par les cabinets d'audit, les syndicats, tout ça. Enfin je t'apprends rien. Un sacré bordel, ouais. Maintenant, même avec des bénéfices records, ils balisent tellement que plus personne ose la ramener. Des années qu'on attendait un prétexte pareil. Des années. Putain, je suis dans une forme éblouissante.
Max ne répondit rien. C'est vrai que ce connard avait l'air de péter le printemps. Le gars se rembrailla :
- Dix kilos, mec. J'ai perdu dix kilos depuis l'entrée en récession. Et je baise, je te dis que ça. Ma femme en revient pas. Cinq ans que ça m'était pas arrivé. Quand je la baise, je pense à tous ces pauvres cons qu'on écrème, je les vois déjà, avec leur petite gamelle en train d'aller pointer à la soupe popu. Je te jure, j'ai la trique, c'est sans fin. Parfois, après, je vais vomir. D'où ma ligne d'enfer.
Max baissa les yeux vers sa propre panse légèrement rebondie. Mouais, ce serait peut-être pas si mal d'essayer cette technique, après tout.
L'autre lui tapa dans le dos :
- Allez, à plus, mec. J'y retourne : aujourd'hui, j'en ai encore deux mille à faire passer au barbecue.
La porte se referma avec ce léger chuintement propice aux ambiances feutrées et relaxantes.
Max observa son sexe mou entre ses doigts. Il n'avait toujours pas réussi à uriner. Il ne pensa pas aux deux dossiers de fermeture d'usine à boucler avant la fin de journée ni à la demande de subvention qu'il devait finaliser avec l'autre équipe. Il s'inquiétait un peu pour sa prostate. Il faudrait qu'il aille voir le toubib quand tout cela serait terminé.
© AC, 2009.



 

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