Larry Brown : les 3 x 8

Publié le par Antoine Chainas

Fêtons dignement la sortie de l'Usine à Lapins chez Folio Policier, ultime roman du génial Larry Brown à qui nous devons déjà des joyaux tels que Sale Boulot, Joe ou Père et Fils.

Chorale

Les accents d'une oeuvre posthume ont ceci de particulier qu'ils résonnent toujours à rebours. Le livre n'est plus seulement jalon, mais point d'orgue, recontextualisation de tous les travaux précédents de l'auteur. En ce sens, L'Usine à Lapins parachève de manière éblouissante la trop courte carrière littéraire de Larry Brown. Elle la parachève et la sublime. Car on retrouve ici tout ce qui a fait le charme des opus précédents : une narration dépouillée, assez proche, par certains côtés, du "nature writing" sans pour autant en adopter les afféteries. Larry Brown va à l'essentiel, à la matière, à l'organique. Des personnages faits de chair et de sang qui se battent, crachent, baissent les bras, parfois. Sous la prose de l'auteur, les oubliés du rêve américain - cliché ultragalvaudé et énorme source d'inspiration du roman noir - trouvent une place au chaud, à l'abri, avant de repartir au combat. Des moments comme ça, en suspension, presque idylliques mais aucunement nostalgiques, il y en a pas mal dans l'Usine à Lapins. Ils sont la respiration. Ils sont les muscles relâchés et l'esprit vide. Ils sont les chants du vent, l'ombre des arbres et l'ailleurs qui prend forme, même s'il s'agit d'un rêve éveillé. Et lorsque les protagonistes se lèvent, se décident à retourner dehors, à la recherche d'eux-mêmes, c'est avec une humanité, une compassion rarement égalée qu'ils sont traités.
Qu'il s'agisse de Domino, livreur de viande et dealer, à la fois précédé et poursuivi par la mort, qu'il s'agisse d'Arthur, septuagénaire touchant marié à une femme trop jeune, trop fougueuse, trop vivante, ou qu'il s'agisse d'Anjalee, pute naïve et malchanceuse, tous trouvent, chez l'Oxonien, une raison d'exister, une raison de continuer, une raison d'être aimé.

I wanna be your dog

Là où l'on retrouve encore Larry Brown, c'est dans cet humour si particulier qui permet aux pires horreurs de se dérouler sous les auspices du rire étranglé.
Ainsi, tout au long de cette histoire aux multiples points de vue, l'auteur se livre à un savant parallèle entre les trajectoires des êtres humains qu'il observe et celles des chiens. Il y a un nombre de chiens incroyable, dans ce roman. Presque autant que d'humains, à vrai dire. Et les péripéties qu'ils vivent ressemblent en bien des points aux tragédies - grandes ou minuscules - vécues par les bipèdes. Faut-il voir, dans cet ultime message qu'adresse l'écrivain au lecteur, un appel à considérer nos turpitudes bien vaines ? Rien n'est moins sûr.
Pour se faire un avis, il ne reste qu'à lire l'Usine à Lapins, oeuvre crépusculaire et magnifique d'un écrivain majeur trop tôt disparu.

L'USINE A LAPINS de Larry Brown, à paraître le 10/07/08 chez Folio Policier (Gallimard).

Publié dans polar

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